La Chatte et la Grenouille

Règle : On met un point d’exclamation à la fin d’une phrase qui sert à exprimer quelque chose avec une émotion vive.

 

Elle s’appelait Madame Multicolore. C’était une grenouille verte. On l’appelait comme ça à cause des idées qu’elle avait dans la tête.

Par un beau soir de canicule (il n’avait pas plu depuis des lunes!) Mademoiselle Chaboum (en ce temps-là, on pouvait encore se faire appeler mademoiselle, même si on était un minou gris), allongée sur le portique de sa maison, sirotant sa limonade à saveur de souris, leva un œil sur son amie.

–   Hé la Multi ! On ne dit pas bonjour ? C’est pas parce qu’on a décroché un rôle dans une fable à petit budget qu’on n’a plus besoin de saluer.

Quel rapport pouvait-il y avoir entre une chatte et une grenouille ? À première vue, aucun. Et pourtant… La Chaboum venait de voir, il y quelques semaines de cela à peine, le sixième et dernier chaton de son ultime portée délaisser à jamais la chaleur de sa fourrure maternelle. De son côté, à la même époque, Mme Multi avait déposé  ses quelques mille ou deux mille ovocytes (elle ne les avait pas comptés!) sur une grande feuille de nénuphar. Les têtards qu’ils étaient devenus depuis se débrouillaient sans elle dans les eaux peu recommandables de l’étang. Les deux dames s’étant soudain retrouvées avec beaucoup de temps libre au bout des pattes, avaient lié une amitié qui n’avait d’égale que la chaleur du soleil.

Et du soleil, cet été-là, il y en avait eu…

–   Oh ! Chaboum ! bredouilla notre grenouille. Excuse-moi… Je me rendais au bord de la mer (c.a.d. « étang », en son langage). Je ne voulais pas manquer le coucher du soleil. Il va être génial aujourd’hui !

–   Comment le sais-tu ?

–   Je le sens… Ça va faire le plus beau tableau au monde !

Permettez-moi de préciser ici qu’outre leurs légers désaccords sur la façon d’élever les enfants, la féline et la batracienne divergeaient aussi sur la façon de tuer le temps. Tandis que Mme Multicolore s’était découvert une passion pour la peinture, Mlle Chaboum préférait les souris.

–   Je n’en ai rien à miauler de tes couchers fleur bleue, maugrabina la mistigri. Ils ressemblent trop aux levers. Dès que les premiers rayons de soleil étalent au ciel leur nez mielleux, pour nous c’en est fini. Nous ne sommes plus tous gris, surtout pas pour les souris. Il ne nous reste qu’à s’endormir. Va, tu ferais mieux d’aller gober quelques mouches, ma chérie ; je trouve que t’as pas mal maigri!

La grenouille n’écouta guère les propos de sa taciturne complice. Elle sautilla parmi  le foin jauni jusqu’à son point d’observation préféré.

Elle ne fut pas déçue. C’était un de ces couchers de soleil trop grands pour ses deux yeux. Peu importe où elle tournait la tête, un reflet dans les nuages en profitait de l’autre côté pour se défiler… et un nouveau, plus beau, de le remplacer. Les rouges, les pourpres, les mauves et même les verts à peine s’étaient pointés au bout de son pinceau, que tout avait déjà changé. À un moment donné, elle eut la nette impression d’entendre l’astre du jour, lui-même, crier « au secours ! ».

Pendant ce temps au village, Mlle Chaboum, qui se prélassait toujours sur le paillasson devant sa porte, sentit un vague flou envahir ses yeux. Ses moustaches frémirent de mauvais augure: une troupe de nuages noirs roulait tambour derrière les toits des maisons, annonçant le retour imminent de la pluie.

Sa première pensée, en toute amitié, fut pour la grenouille, dont c’était la saison préférée… tandis qu’elle…

Une, deux, trois gouttes piquèrent la poussière. Elle les avait bien vues, mais ne voulut pas y croire. Elle s’entêta à siroter le vide dans sa vie.

Un rideau liquide s’effondra soudain du ciel. Des milliards de bombes d’eau qui portaient chacune un nom : Tristesse, Colère, Honte, Dégoût, Peur… se fondaient en un horrible mélange de pure déprime.

Toutes griffes dehors, Mlle Chaboum se hâta de plier bagage et de s’encabaner pour la durée du déluge.

C’est alors que se produisit ce qui n’était, jamais, jamais arrivé à aucun  individu de son espèce animale: la chatte s’étala de tout son long dans la plus mouillée des flaques d’eau qui soient !

Notre mini tigresse, museau au ras du sol, tentait de digérer l’humiliation d’avoir trébuché sur son propre verre de limonade, quand elle aperçut la grenouille. Seule au coeur de la place publique, tel un feu d’artifice, son amie dansait un cancan endiablé. Mme Multi, pour l’occasion,  avait revêtu son plus beau bikini.

–   Quelle mouche t’a piquée ? lança celle-là.

–   Tu ne sais pas ce que tu manques, répondit celle-ci. Viens danser!

 Entre ses paupières de chasseuse nocturne bien fermées, Dame Chatte constata un phénomène étrange: le maillot de bain de la danseuse changeait sans cesse de couleur, passait du rouge au pourpre au mauve et même au vert. Pire encore, on pouvait l’entendre s’égosiller d’un parfait bonheur.

La pluie tombait, tombait.

Un tourbillon multicolore déposa soudain quelque chose entre les pattes de la spectatrice ingrate. Une enveloppe, toute grise et mouillée, comme elle. Elle l’ouvrit d’un coup de griffe.

Une carte! La lune, de son projecteur, en éclaira l’intérieur. Détenus dans le papier, trois petits points de suspension.

Tac ! Une goutte de pluie s’écrasa en plein milieu. Les points se dressèrent. Ils étaient enfin libérés! Leur riposte ne se fit pas attendre. Schtroum ! Pitoum !! Paf !!! En avant la musique !

La lune, dont c’était l’heure de la pause, était aux oiseaux.

Comment résister? Mlle Chaboum se leva. Elle rejoignit la reine des étangs. Sans imper, sans parapluie, elle dansa. Timidement pour commencer, puis, comme les gouttes augmentaient la cadence, de plus en plus intensément.

Partout aux alentours, retentirent les cris de joie. Pendant longtemps, longtemps…

Et la lune se retira de ses eaux. Et la brume s’entoura de sa lumière.

Le lendemain, dans la boue à peine séchée, un passant ramassa une drôle de carte d’invitation, avec, pour seul contenu, trois petits points que la nuit avait allongés, effrontément. On aurait dit des ancolies, des campanules, des marguerites.

Il faut croire qu’ils avait eu un effet miraculeux. Et pour cause, c’était des points d’exclamation !

Schtroum pitoum paf !

 

Auteur : Woups Laflammèche d’après une idée de Ektaben Patel et Jessenia Majano-Machuca.

 

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Questions

 

  1. Décris le caractère des deux personnages principaux.
  2. D’autres animaux sont reconnus pour un trait spécifique de leur caractère. Peux-tu en donner des exemples ?
  3. Qu’est-ce qui fait changer brusquement l’humeur de la Chatte ?
  4. Donne différentes émotions qui peuvent être exprimées grâce au point d’exclamation. Illustre-les avec des phrases.
  5. Peux-tu écrire une phrase avec les mêmes mots, mais en utilisant les différents signes de ponctuation à la fin ? Lis tes phrases à voix haute.
  6. Imagine que la Grenouille ait exécuté le portait d’un(e) de tes ami(e)s. Comment le décrirais-tu ?