Ti-Jaune, couleur des bois

Règle : Le conditionnel présent est employé pour formuler un désir, un souhait, un fait possible ou irréel, une hypothèse, une éventualité, la politesse, le futur du passé, bref… il a plein de potentiel!

 

 

 

 

Voici l’histoire d’un pauvre garçon que ses parents avaient nommé Ti-Jaune. Oui, Ti-Jaune, comme dans Elton Jaune…

Eh bien ! Cher.e.s ami.e.s, croyez-en vos oreilles:

Une fois, c’est un vieux bonhomme qui sent sa mort approcher. Il convoque ses trois fils et leur déclare: « Je m’en vais bientôt partir. Je pourrai plus m’occuper de vous. Que voulez-vous faire dans la vie ? »

Le premier fils dit: « Je veux devenir un voleur en cravate Crème rétro PR16S20! »

« C’est ben correct ! » répond le père. Et il lui donne toutes ses économies pour qu’il puisse s’acheter une belle cravate.

Le deuxième fils dit : « Moi, son père, j’va être un habitant en bobettes Rouge samba PR16Q42! »

« Ah! C’est ben correct ! » répond son papa. Et il lui lègue sa terre avec tous les bâtiments, pour qu’il puisse la virer à l’envers comme le bon roi Dagobert.

Le troisième fils s’avance presque à reculons, les mains dans les poches, les cheveux en bataille, la baboune sauvage.

–   Pis toé, Ti-Jaune?

–   …

–   Qu’est-ce que t’as? T’as l’air malade.

–   C’est rien. J’ai un peu jauni à l’idée de ce que je veux faire dans’ vie.

–   Parle, mon gars !

–   Je… je voudrais être couleur des bois…

–   Coureur des bois, tu veux dire ?

–   Non. Pas coureur: couleur!

–   C’est pas sérieux ça! J’ai jamais entendu rien de pareil!  T’es ben sûr ?

–   Sûr comme je vous ai drette devant moé, l’père. J’en peux pus de me faire appeler Ti-Jaune… J’veux devenir la plus grande, la plus savante, la plus puissante couleur du monde!

Le vieillard se tripote la barbe. Il se lève de peine et de misère et va fouiller dans ses tiroirs. Fouille, fouille, puis s’en revient avec, dans la main, trois billets de loterie, trois gratteux: « Tiens, prends ça ! qu’il lui dit. Pis sers-t’en pour te la couler douce avec tes couleurs, vite, avant que j’aie changé d’idée. »

Ti-Jaune a compris. Il ramasse ses cliques, ses claques. Comme il s’en va pour sortir de la maison, sa mère l’accroche et lui donne en cachette le lunch qu’elle lui a préparé pour la route: un beau sandwich au fromage avec un bec sur la joue.

Ti-Jaune court. Il court pour laisser loin derrière lui cette vie aux tons neutres et numérotés du catalogue PREMIER de Canadian Tire.

Il court longtemps, il court tout droit, toujours, mais voilà qu’il ralentit. C’est parce qu’il est arrivé au bord d’une rivière. Il s’arrête. Pas le choix… il ne sait pas nager. Près de la rive, assise au pied d’un arbre, une femme à la peau ridée sur les os tend une main, couleur bleu misère, crochie par le froid, vers le lunch de Ti-Jaune. Ça tombe bien; lui aussi a faim! Il partage avec elle son sandwich.

Quand ils ont terminé, la vieille le regarde au fond des yeux et dit : « La couleur que tu cherches, mon fils, c’est la plus merveilleuse de toutes.  Tu la trouveras de l’autre côté de la rivière. »

Ti-Jaune, tout content, se lève et scrute les alentours pour voir s’il y aurait un pont pas loin. Non. Un bateau ? Non plus.

–   Vu que t’es un bon garçon, je m’en va t’aider, dit la vieille. Cache-toi derrière la grosse roche, là-bas. Trois filles vont venir se baigner.  Choisis la plus belle. Si tu lui voles son châle, elle n’aura pas d’autre choix que de te faire traverser.

–   C’est parce que je m’y connais pas en filles, madame. Comment faire pour savoir c’est laquelle?

–  Tu gratteras un de tes gratteux! qu’elle lui répond.

Ti-Jaune se retourne pour l’embrasser, mais la dame a disparu.

Il va donc se cacher derrière la grosse roche. Comme de raison, trois belles filles arrivent bientôt. Comme de raison, elles se déshabillent. Quand elles enlèvent leurs vêtements,     ô surprise! elles sont toutes les trois pareilles! Ti-Jaune suit alors le conseil de la vieille. Il  sort de sa poche un gratteux. Il gratte. C’est écrit : « Vert olive PR16W22».   Le catalogue Canadian Tire n’a pas de secret pour lui. Il reconnaît la couleur d’un des châles étendus sur l’herbe! Un beau châle vert qui miroite au soleil! Il s’en empare.

Mais Ti-Jaune, pas plus expert en oiseaux qu’en filles, n’a pas remarqué que les trois beautés se sont transformées en trois canards! Elles sont là, dans l’eau, qui barbotent de droite à gauche, de gauche à droite.

En voilà justement une qui s’approche.

–   Coin coin! Je t’ai vu ! s’écrie-t-elle. Rends-moi mon châle, voleur !

–   Seulement si tu m’aides à traverser la rivière, lance Ti-Jaune.

Elle allonge le cou, examine le jeune homme de haut en bas,  de bas en haut, et déclare:

–   T’as l’air pas mal trop pesant pour monter sur mon dos. C’est sûr qu’on va se neiller, tous les deux ! »

–   On peut au moins essayer !

–   Bon, ok! À une condition, par exemple: à la moindre petite goutte, dès que tu nous sentiras couler, promets-moi de débarquer.

–   Juré !

Ça fait que Ti-Jaune jette le beau châle vert sur le dos du canard et embarque. Au début, tout va bien.   Mais rendus au milieu de la rivière, ce qui devait arriver arrive : ils coulent ! Un tout petit peu pour commencer, puis de plus en plus ! Ça rentre de partout!

Ti-Jaune a juré. En homme de parole, il plonge… même s’il ne sait pas nager. Le canard au beau châle vert lui tourne autour en cancanant :

–   Je t’avais pourtant averti! Coin coin!

–  Je me neille! Pourrais-tu s’il-te-plaît m’aider?

–  Pas une deuxième fois! J’suis p’têt bonne mais pas conne!  Mais si tu me donnes ce que tu caches dans ta poche… je te laisserai t’accrocher après ma queue.

Pauvre Ti-Jaune ! Les couleurs sous la surface se ressemblent, s’assemblent: Gris moderne PR16U31,  Gris foncé PR16V08, Gris PR… embrouillé!! Entre deux gorgées de rivière, il réussit à sortir un billet de loto tout mouillé, à moitié déchiré, de sa poche. D’une main, il le glisse entre la paire de pattes palmées devant lui, et de l’autre il attrape la queue.

Le canard gratte le billet  avec son bec:

–  Dentelle délicate PR16Y42… C’est bien ce que je pensais! ricane-t-il.

Du coup, il avale le bout de papier puis disparaît avec. Ti-Jaune reste avec une plume, juste une, la plus belle, dans sa main.

C’est à ce moment que la rivière pique sa crise. Elle bouillonne de tourbillons. Sur la rive, les trois jolies filles se rhabillent et s’enfuient en courant après le vent.

Ti-Jaune croit sa dernière heure arrivée. Il s’agrippe à la plume. Et voici qu’elle parle :

–   Si j’étais une prière, que demanderais-tu ?

–   Si tu étais prière, je te demanderais de t’envoler.

–   Si je m’envolais, où irais-tu ?

–   Si tu t’envolais, je m’envolerais aussi.

–   Et si ce n’était qu’un jeu ?

–   Je serais heureux !

L’eau se calme. Ti-Jaune ne se débat plus. Seul à côté de lui flotte un beau châle vert, tel un nénuphar géant. La rivière, de sa main bleue, l’aide à grimper dessus.

Le nénuphar et lui glissent doucement ensemble, jusqu’à l’autre bord.

Ti-Jaune débarque. Il regarde alentour. Il est dans un bois. Un bois aux incroyables couleurs. Couleur des bois au matin, couleur des bois au soleil, couleur des bois sous la pluie, couleur des bois sous la lune, couleur des bois sous la neige, couleur des bois, couleur, couleur, sous…  zéro numéro!

–   Laquelle aimerais-tu devenir? dit la voix douce de la plume.

Ti-Jaune se gratte la caboche longtemps. Personne ne sait ce qu’il a pu trouver là-dedans, mais tout à coup, il lâche un cri :

–   Ti-Jaune! C’est mon nom…

Ouvre grand les bras, en tournant sur lui-même :

–   …pis eux-autres, c’est ma gang!

Voilà comment Ti-Jaune a pris sa place sur la grande palette de la Vie… avec nous à ses côtés. C’est, en tous cas, ce qui serait écrit sur le dernier billet de loterie.

  

 

 

 

Les deux toiles illustrant cette histoire sont des acryliques de Véronique Thibaudeau.

 

 

Questions

 

 

  1. Trouve dans le texte une phrase où le conditionnel sert à formuler un souhait.
  2. Trouve dans le texte une phrase où le conditionnel sert à s’exprimer avec politesse.
  3. Trouve dans le texte une phrase où le conditionnel sert à exprimer une action éventuelle qui dépend d’une condition.
  4. Dans le langage des enfants, le conditionnel sert parfois à préciser les consignes d’un jeu (ex. « Je serais chef des bandits. Tu serais cheffe de la police. »). Y a-t-il une phrase dans le texte qui utilise le conditionnel dans le même sens ?
  5. Et toi? Quel serait ton conditionnel?